ENTREVUE | LaCogency

Par Culture pour tous - Illustration ©Youloune
Andrée Harvey et Véronique Marino, fondatrices de LaCogency, revisitent les principales étapes de l’élaboration spécifique de Culturepédia.

Après avoir occupé des postes de directrice-conseil stratégique et chargée de projets au sein d’agences Web à Montréal, Andrée Harvey a cofondé LaCogency en 2017 avec Véronique Marino, experte depuis plus de 20 ans dans l’accompagnement stratégique des organisations du milieu des arts et de la culture face aux enjeux et aux opportunités portés par le numérique.

 

Pouvez-vous nous présenter LaCogency ?

A. H. : LaCogency est une agence de stratégie, production et découvrabilité numériques qui se concentre dans le milieu des arts et de la culture. Nous collaborons principalement avec des associations professionnelles, en liaison avec des responsables de chaque discipline. Cette approche nous permet de concevoir des projets très structurants pour ces milieux. Notre travail repose sur des partenariats avec des associations rassemblant des membres autour d’activités à fort impact et d’un intérêt commun pour l’ensemble des adhérents. À titre d’exemple, nos clients incluent l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC), le Front des réalisateurs indépendants du Canada (FRIC), la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), l’Association canadienne des organismes artistiques (CAPACOA), En piste, regroupement national des arts du cirque (RQD) et le Conseil québécois du théâtre (CQT).

V. M. : Notre clientèle comprend également des organismes gouvernementaux tels que le CALQ, le MCC et le CCQ (Institut de la statistique). Notre rôle consiste à avoir une vision globale de l’état actuel et des tendances à venir. Nous effectuons une veille constante et élaborons des stratégies numériques afin de mieux soutenir les professionnels du secteur des arts et de la culture dans leur transition vers le numérique. Dans cette optique, nous accordons une place centrale aux données, qui constituent un élément essentiel de notre approche. De plus, nous accordons une grande importance à la formation en organisant diverses activités afin de partager nos connaissances et vulgariser les concepts. Notre objectif est de proposer des projets sur mesure en fonction des besoins spécifiques de nos clients. En début de processus, on intervient dès les premières étapes de la production. En aval, on offre un accompagnement complet afin d’aider nos clients à gagner en autonomie et à assurer la pérennité des résultats obtenus. Nous sommes tournés vers l’avenir, cherchant à laisser un héritage positif dans le secteur des arts et de la culture.

 

Qu’est-ce qui vous a motivées à vous engager dans Culturepédia ?

V. M. : C’est un projet fabuleux, totalement en accord avec notre identité, car il allie l’innovation, la stratégie et la réflexion, tout en impliquant également la technologie. De plus, ce qui apporte une nouveauté à notre écosystème est le côté juridique, que nous n’avions pas encore exploré. C’est ainsi que nous avons fait appel à Me Yves Lapierre pour cette dimension.

A. H. : En effet, l’aspect novateur nous a stimulées, car nous avons une passion pour la conception de nouvelles solutions en réponse à des besoins concrets. Néanmoins, il y a également la dimension de l’héritage que ce projet peut apporter au domaine des arts et de la culture. Enfin, la collaboration avec Culture pour tous s’est présentée comme une opportunité, tant pour les individus qui y contribuent que pour les projets portés par l’organisme.

 

Quel est votre rôle dans l’élaboration de Culturepédia ?

A. H. : Lorsque les gens de Culture pour tous nous a approchées, ils nous ont fait part de leur désir de mettre en place une mutuelle, impliquant ainsi le concept de mutualisation. C’est au cours d’une tournée de codesign avec Culture pour tous dans plusieurs régions que nous avons constaté un besoin croissant de formation et de partage des données. C’est à ce moment-là que nous avons choisi d’adopter l’approche de la mise en commun des données. En parallèle, le TIESS (Territoires innovants en économie sociale et solidaire), également impliqué dans le projet, a suggéré la création d’une fiducie d’utilité sociale (FUS).

V. M. : La première phase, celle de l’idéation, au cours de laquelle nous avons assemblé différents éléments, jouait le rôle de déclencheur initial. À partir de là, nous avons entamé une étape de conception afin de donner une forme tangible à notre vision. Culture pour tous a donné sa confiance en quelque chose qui n’était qu’au stade conceptuel. Face à un ensemble de pièces, comme un assortiment de LEGO, Culture pour tous et nous avons fusionné nos approches pour élaborer un projet que presque personne, à part nous, ne parvenait à saisir. Un défi majeur résidait dans la description du projet, mais nous sommes parvenus à la simplifier suffisamment pour gagner la confiance de deux bailleurs de fonds, à savoir le Conseil des Arts du Canada et Patrimoine canadien. À partir d’une idée, nous avons réussi à la formuler de manière concrète et à la développer. Une fois que les bailleurs de fonds ont donné leur accord, la deuxième phase de l’aventure a débuté, exigeant de nous d’autres compétences.

 

Afin de tester la machine, un premier test a été réalisé avec les données des Journées de la culture, événement phare de Culture pour tous. Pouvez-vous nous en parler ?

A. H. : Étant à la base de Culturepédia, Culture pour tous est l’organisme qui a initialement alimenté le projet avec le premier jeu de données descriptives, celles des activités des Journées de la culture de 2014 à 2022. L’objectif premier était de mettre en évidence l’impact social de la culture. Partant de là, en examinant ces données, nous avons soulevé la question de savoir si elles pouvaient réellement répondre à cet objectif. La réponse a été négative, ce qui nous a amenées à créer une carte de chaleur illustrant le dynamisme des Journées de la culture à travers le Québec pour les années 2014, 2019 (prépandémie) et 2020 (pandémie) pour en observer l’évolution. Pour réaliser cette carte, les données fournies par Culture pour tous ont été converties en un langage sémantique afin de les croiser avec des données ouvertes de géolocalisation.

Est-ce que d’autres cas d’usage sont en cours ? Si oui, lesquels ?

A. H. : En effet, nous avons entrepris une nouvelle collecte de données, recueillie directement auprès des participants des Journées de la culture de 2023. Auparavant, nos données provenaient exclusivement des organisateurs, ce qui laissait un vide en ce qui concerne le point de vue des participants, essentiel car il reflète leur expérience des activités culturelles. La prochaine étape consistera donc à enrichir notre ensemble de données de cette manière. Parallèlement, nous sommes en train d’explorer d’autres sources de données ouvertes pour déterminer la possibilité de les croiser avec les données déjà existantes.

V. M. : De plus, les données issues des précédentes éditions des Journées de la culture ont joué un rôle crucial dans notre réflexion sur le processus de sémantisation. À partir de ces données, nous avons pu élaborer un modèle initial qui nous permettrait de publier d’autres ensembles de données provenant d’autres sources. Ce modèle s’inspire lui-même du cadre utilisé par Artsdata.ca et par LaVitrine.com. Nous avons toujours eu en tête l’idée d’interopérabilité, c’est-à-dire la manière de rendre ces données compatibles dans l’univers de Culturepédia tout en permettant leur intégration depuis d’autres univers déjà sémantisés. Notre objectif étant de faire de Culturepédia un outil transversal et compatible avec le plus grand nombre d’univers sémantisés existants ou à venir.

 

Comme vous le mentionnez, cela fait plusieurs années que vous êtes impliquées de très près dans le projet. De quelle manière Culturepédia influence-t-elle votre façon de travailler au sein de LaCogency ?

V. M. : De mon point de vue, l’impact premier est organisationnel. L’introduction à une nouvelle approche complète de la gestion de projet sur une période prolongée. Nous avons adopté de manière plus poussée la méthodologie Agile, qui implique de développer et de tester immédiatement avant de progresser, permettant ainsi des ajustements en fonction des retours et des perceptions des utilisateurs réels. Je considère que cette approche est particulièrement enrichissante.

A. H. : Pour moi, c’est l’adoption de l’approche des communs qui représente le changement le plus significatif. Ce n’est pas une pratique à laquelle nous sommes habitués dans le cadre de collaborations. Dans le domaine numérique, la norme est souvent de travailler avec des bases de données cloisonnées et isolées. Pour notre organisation, ce virage est un élément fondamental et constitue la transformation la plus marquante, selon moi.

V. M. : Cela a également confirmé la pertinence de notre orientation vers des projets innovants. À présent, je trouve que nous sommes plus à l’aise avec la notion de prise de risque. Cette expérience a renforcé notre confiance en notre capacité à concevoir des idées novatrices. Nous sommes prêtes à concevoir des projets encore plus avant-gardistes!

 

Vous travaillez avec le milieu culturel depuis des années. Quel est l’avantage d’un projet comme Culturepédia pour le milieu ?

A. H. : Ce n’est pas encore visible, mais Culturepédia va amener le milieu à briser les silos et à travailler collectivement. J’aimerais que Culturepédia permette l’émergence de nouveaux partenariats dans le milieu. Cela s’est révélé évident au cours de divers ateliers de cocréation. Des participants issus à la fois des bibliothèques et du domaine des arts de la scène ont constaté qu’ils partageaient une clientèle similaire, ce qui a éveillé la possibilité de collaborer pour concevoir des activités conjointes, étant donné qu’ils s’adressent au même public. Mettre leurs données en commun va permettre à chacun d’augmenter leur connaissance du milieu, du marché mais aussi des activités qu’ils organisent et de l’impact que celles-ci ont sur le public.

V. M. : En effet, c’est un projet qui peut être à la fois très individuel mais qui met également en contact les uns et les autres. C’est à partir de là que la notion d’intelligence d’affaires prend tout son sens. On développe un outil, un écosystème, qui va permettre aux participants d’avoir une plus grande agilité et une facilité à développer une intelligence d’affaires. On peut dire que la culture est au cœur des sociétés. Pour que ce soit encore plus vrai, il faut élargir le milieu, et c’est là que la notion de relation avec les milieux de la santé, de la mobilité, du tourisme, etc., prend tout son sens. Culturepédia est la première pierre sur laquelle ces milieux-là vont pouvoir venir s’appuyer et contribuer à une meilleure connaissance de la société. C’est un projet tourné sur l’humain alors qu’il est profondément technologique. On parle d’impact de la culture sur la société, mais l’objectif est de protéger la culture pour la valoriser au-delà d’idées reçues.

Tim Berners-Lee, le créateur du Web, disait que c’est à partir de l’assemblage de connaissances existantes qu’on crée de nouvelles connaissances qui n’auraient pas pu apparaître si nous n’avions pas pu faire cette mise en relation. Culturepédia, c’est ça! À travers ses tableaux de bord, c’est une lecture inédite de données existantes.

 

Quelles sont les priorités sur lesquelles le milieu va travailler et avancer au cours des prochaines années ?

V. M. : Je pense que le milieu culturel a un enjeu de consolidation à faire en raison de la grande transformation numérique qu’il vit. Il faut donc réussir à maintenir le tout.

A. H. : Il y a aussi un enjeu dans la structuration des données. Nous avons travaillé avec les données du milieu pour les rendre découvrables, mais pour faciliter l’interopérabilité, il va falloir que le milieu apprenne à mieux structurer ses données pour les rendre standards et universelles.

V. M. : Effectivement. Et là, tu évoques quelque chose de très profond dans le milieu, cette relation à la collaboration. C’est-à-dire que la notion du « travailler ensemble », nous en parlons beaucoup mais dans les faits, il n’y en a presque pas.

A. H. : Il y a quand même une émergence dans le milieu des arts et de la culture, notamment avec le projet de La Vitrine. Tous les projets de mutualisation ont pour optique de rendre les données universelles et interopérables. Donc, il y a comme une toile d’araignée qui est en train de se tisser entre ces gros projets-là (Dia-Log, CAPACOA, La Vitrine, Les Musées lois…). On assiste au démarrage.

 

Quelle est la place de l’intelligence artificielle (IA) dans le cadre du projet ?

V. M. : Le défi sera de positionner l’IA au bon endroit et d’éviter les choix évidents. Il est courant de vouloir utiliser l’IA lors de la dernière étape, mais j’ai l’intuition qu’elle pourrait être extrêmement efficace en amont, dès les premières étapes du processus, en particulier si nous réussissons à la mettre au service de la sémantisation. Tout cela nécessite une réflexion approfondie et une compréhension totale, d’autant plus que l’intégration de l’IA représente l’une des nouvelles ressources prévues pour l’année à venir dans le projet.

A. H. : Il est évident que c’est incontournable et que nous allons l’explorer. Cela dit, pour le moment, la volumétrie de données qu’on a n’est pas suffisante pour justifier le recours à l’IA, mais ce sera considéré.

 

Le mot de la fin

A. H. : Je souhaite qu’il y ait un Culturepédia 2.0, 3.0, 4.0, etc., et que ce soit un projet pérenne.

V. M. : Oui, et l’enjeu va être de rassurer les bailleurs de fond que ce projet est fondamental et de réussir à ce qu’ils nous fassent confiance, autant à Culture pour tous qu’à nous, LaCogency.