ENTREVUE | Me Yves Lapierre

Par Culture pour tous - Illustration ©Youloune

 

Yves Lapierre, avocat en droit de l’innovation et conseiller indépendant (Floe), nous transporte dans la dimension juridique de Culturepédia en mettant en avant l’importance de la gouvernance des données.

Membre du barreau du Québec depuis 1990, Yves Lapierre a également cofondé une des premières agences numériques au Québec. Aujourd’hui, il accompagne les organisations en tant que conseiller indépendant pour des projets impliquant la gouvernance des données.

 

Quel est votre rôle au sein de Culturepédia ?

Mon rôle est d’accompagner les partenaires et de les protéger afin qu’ils puissent conduire leur mission pour le bien public. La bonne manière de le faire est d’anticiper les obstacles et les enjeux juridiques. Mon rôle est donc avant tout celui d’un facilitateur.

 

Pourquoi vous êtes-vous engagé dans le projet, quelle est votre motivation ?

C’est Andrée Harvey, cofondatrice de LaCogency, qui m’a approché pour le projet et parlé des enjeux juridiques qui se dessinaient avec la création de la fiducie. Le déploiement fulgurant, et donc les enjeux que l’on voit poindre avec l’intelligence artificielle, Dall.e et autre Chat GPT de ce monde, illustrent à quel point il est urgent de nous réapproprier nos données. Les impacts sont directs, que ce soit pour les créateurs, les artistes ou les citoyens. Notre société a besoin de multiples outils, à la fois pour se protéger et pour harnacher le potentiel des données. Les fiducies de données sont un de ces outils-là. Avec Culturepédia, j’ai la chance de pouvoir m’engager dans une action concrète.

 

Culturepédia est dans une phase prototypale depuis février 2023, quelles ont été les grandes étapes de votre travail pour y arriver ?

Dès le départ, on s’est orientés dans une démarche de coconception. On se rencontre de façon continue, chaque mois, pour construire le cadre juridique et les différentes composantes du projet. Cette approche nous permet d’ancrer la démarche dans une vision à 360 degrés et de mieux prendre en compte les multiples dimensions de l’initiative, que ce soit du point de vue technologique, stratégique, organisationnel ou économique. Mon rôle est d’apporter la dimension juridique dans cette mouvance-là. C’est un travail qui a commencé avant la création officielle de la constitution de la fiducie. L’idée étant, encore là, d’anticiper les obstacles, d’avoir une meilleure compréhension et de resserrer le lien de confiance avec le groupe qui se développe au fur et à mesure. Il y a donc eu un travail en amont, et maintenant un travail d’accompagnement continu dans le projet.

 

Vous avez récemment été invité à présenter Culturepédia à l’occasion de la Summer Academy for Global Privacy Law 2023, organisée par la Vrije Universiteit de Belgique, dont le thème était « La gouvernance des données à l’âge de l’IA ». Comment le projet a-t-il été reçu en Europe ?

Notre projet est avant-gardiste. On avance en terre inconnue, ce qui est un enjeu, mais d’un autre côté on a la force de l’innovation donc, ça suscite de l’intérêt et ça mobilise. Cela nous a amenés, Andrée Harvey (LaCogency) et moi, à être invités au nom de Culture pour tous à présenter publiquement Culturepédia  dans le volet international. Pourquoi ? Parce que c’est la première structure en droit civil « social data trust », une première au Québec.

Dans le groupe de discussion, il y avait des responsables de la commission européenne, comme ceux qui s’occupent de la protection des données. D’ailleurs, des structures comparables se mettent en place en Europe et en Grande Bretagne où des « data trusts » sont créés pour protéger les données. L’événement a permis de créer des ponts et, on l’espère, de nous ouvrir une porte vers l’international.

 

Les sanctions concernant la Loi 25, portant sur la protection des données personnelles, entrent en vigueur en septembre 2023. Pouvez-vous nous présenter cette loi et partager des conseils pratiques ?

Il y a un lien direct avec la question précédente car la Loi 25 est inspirée de celles qui ont été mises en place en Europe. L’idée est de se doter d’une loi avec des sanctions sévères pour protéger les données personnelles. La loi est en vigueur depuis un an, et toutes les organisations doivent s’y conformer. Les sanctions arrivent le 22 septembre 2023 pour les contrevenants. Le nerf de la guerre est de faire un ménage dans les fichiers que nous possédons en tant qu’organisation, pour avoir une vue d’ensemble sur les données que nous emmagasinons et y voir plus clair. Est-ce que nous détenons des données personnelles ? Où sont-elles conservées ? Qui y a accès ? etc. Au besoin, on peut se tourner vers des conseillers, des personnes qui peuvent nous orienter là-dedans. Des ressources sont aussi disponibles dans des sites comme Cybereco.

 

Qu’est-ce que le droit à l’oubli ?

C’est le droit de toute personne d’obtenir l’anonymat en cas de situation grave, lorsque sa sécurité ou son bien-être sont en danger. C’est pourquoi le nettoyage dans les fichiers est important. Les organisations doivent être capable de savoir où sont les données. Si un cas se présentait, il faudra être à même de retrouver les fichiers en question, désactiver une page Web, etc.

 

Est-ce que cette loi apporte un défi de plus pour le projet ?

Ça apporte un défi pour tous les projets. Avec Culturepédia, nous devons montrer l’exemple ! Ça conditionne Culture pour tous et les partenaires de Culturepédia à être en tête de file.

 

Certaines organisations ou personnes peuvent être réticentes  à l’idée de partager des données. Pouvez-vous nous dire à quel point il est sécuritaire de partager des données sur la plateforme ?

La meilleure garantie sera toujours d’avoir en face de nous des individus sur qui nous pouvons compter. C’est exactement ce que cette fiducie apporte par sa dimension humaine. Il y a des personnes, qu’on appelle les fiduciaires, qui sont personnellement responsables et imputables. C’est une lourde responsabilité pour  et une forte garantie pour ceux qui prtagent leurs données.

Il va sans dire qu’il y a une érosion de la confiance du public dans la manière dont de nombreuses organisations traitent les données personnelles. Les fiducies de données ont un grand potentiel pour restaurer la confiance du public puisqu’elles offrent une base juridique pour une gérance des données responsable et indépendante. Redonnons confiance et pouvoir aux gens !

 

Quels sont les trois grands bénéfices de Culturepédia ?

D’abord, Culturepédia offre un grand potentiel pour instaurer la confiance auprès du public et permettre une gérance des données responsable et indépendante. Ensuite, mettre ses données en commun permet d’en avoir une vision plus vaste et de les valoriser. Quand tu as confiance, tu peux mettre des données en commun pour un but commun. Tu peux alors enrichir ta vision, l’élargir et, par exemple mieux connaître ton impact sur le public. Cela offre toutes sortes de possibilités. Enfin, Culturepédia est une base solide pour construire sur l’intelligence artificielle. En effet, la base sur laquelle est bâtie l’IA, ce sont les données. Donc, le sol doit être solide sous nos pieds et pour cela, une bonne gouvernance des données est nécessaire. C’est l’occasion de mettre à son service le potentiel actuel et futur de l’IA.

 

À ce propos, quelle est la place de l’IA dans le projet ?

À terme, l’objectif est clairement de tirer parti de tout le potentiel de l’IA. Toutefois, il faut en premier lieu nous occuper de nos données, en nous assurant qu’elles soient gérées de manière responsable. Sinon il peut y avoir des données biaisées. On le voit très souvent avec des communautés : des minorités sont ostracisées par les algorithmes parce que, à la base, les données le sont. Nous avons plein d’exemples qui le documentent. Ce n’est pas le but des créateurs et des chercheurs, mais c’est une conséquence. Si les données ne sont pas bien colligées, alors le résultat ne sera pas bon. La première étape est donc de s’approprier ses données afin que l’IA puisse effectuer son travail de la bonne manière.

 

Le mot de la fin

L’IA est une révolution majeure. C’est une chance de participer et de contribuer à un projet comme celui-là, par lequel on s’engage dans une action concrète pour créer des bases plus saines de gouvernance de données. Je suis très reconnaissant envers la grande équipe de Culturepédia de s’inscrire dans ce mouvement-là.

 

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Vous souhaitez mieux comprendre la Loi 25 ? Lisez notre article Conformez-vous à la Loi 25.